« Au Maroc, comme dans de nombreux pays en développement, la question du salaire demeure le facteur déterminant pour une majorité de candidats lors d’une recherche d’emploi.
Dans un contexte socio-économique marqué par des inégalités persistantes, un taux de chômage élevé, une précarité croissante et un coût de la vie en hausse, il n’est pas surprenant que la rémunération soit érigée en priorité absolue.
Le salaire est souvent perçu non seulement comme un moyen de subsistance, mais aussi comme un vecteur de reconnaissance sociale, de statut, et de sécurité.
Les candidats marocains qu’ils soient jeunes diplômés ou professionnels expérimentés sont nombreux à focaliser leur attention sur la rémunération dès les premières phases du processus de recrutement.
Cette attente s’explique par une réalité tangible :
beaucoup de postes, en particulier dans le secteur privé, restent faiblement rémunérés au regard du niveau de qualification requis. Le manque de clarté sur les grilles salariales, l’absence de politiques de transparence sur les rémunérations, et les écarts importants entre les régions et les secteurs d’activité alimentent ce réflexe pragmatique.
Dans ce cadre, les cabinets de recrutement et les services RH sont souvent confrontés à une question récurrente dès les premiers échanges avec les candidats : « Quel est le salaire proposé ? ».
Cette focalisation, bien que compréhensible, tend à occulter des dimensions essentielles à la réussite et à la durabilité d’un parcours professionnel, telles que l’adhésion aux valeurs de l’entreprise, la qualité de l’environnement de travail, ou encore la possibilité de développement personnel et professionnel »
-1-L’illusion d’un choix fondé uniquement sur le salaire
La recherche d’un salaire compétitif est légitime, mais elle peut se révéler insuffisante à moyen et long terme si elle ne s’accompagne pas d’une cohérence entre les valeurs du candidat et celles de l’entreprise.
En effet, de nombreuses études sur le bien-être au travail, la fidélisation des talents ou encore l’engagement des collaborateurs montrent qu’un haut niveau de rémunération ne suffit pas à garantir la satisfaction, la motivation et la pérennité dans un poste.
Au Maroc, comme ailleurs, les entreprises qui réussissent à fidéliser leurs collaborateurs sont souvent celles qui cultivent une culture d’entreprise forte, fondée sur des valeurs explicites et incarnées au quotidien : respect, transparence, équité, responsabilité, excellence, innovation, etc. Lorsque ces valeurs résonnent avec les convictions personnelles des collaborateurs, elles génèrent un sentiment d’appartenance, de cohérence et de sens.
À l’inverse, un poste bien rémunéré mais en contradiction avec ses principes peut rapidement devenir une source de stress, de conflit intérieur et de démotivation.
La notion de « dissonance éthique » – ce malaise ressenti par un salarié dont les actions professionnelles ne sont pas en accord avec ses croyances profondes – est de plus en plus documentée dans la littérature managériale.
Au Maroc, cette problématique prend une dimension particulière dans les secteurs exposés à des pratiques de corruption, de favoritisme ou de non-conformité réglementaire. Dans ces environnements, même une rémunération élevée ne suffit pas à maintenir durablement les collaborateurs motivés ou engagés.
-2-L’importance de l’alignement des valeurs professionnelles
Adhérer à des valeurs professionnelles communes avec son entreprise est un facteur déterminant pour s’inscrire dans la durée. Il s’agit d’un levier de stabilité, d’épanouissement et de performance. Les collaborateurs qui partagent les valeurs de leur organisation sont plus enclins à s’engager pleinement, à faire preuve de loyauté et à contribuer à l’atteinte des objectifs collectifs. Cet alignement favorise également la résilience face aux difficultés, car il donne un sens plus profond au travail quotidien.
Dans le contexte marocain, les entreprises qui parviennent à attirer et retenir des talents sont celles qui ont su bâtir une marque employeur authentique, fondée sur des valeurs fortes et cohérentes. Cela implique un travail stratégique de formalisation de ces valeurs, mais aussi une exigence managériale pour les incarner concrètement dans les pratiques : processus de recrutement, évaluation de la performance, gestion des conflits, décisions stratégiques, communication interne, etc.
Le rôle des dirigeants et des managers est crucial à cet égard. Ce sont eux qui donnent le ton, qui incarnent la culture d’entreprise et qui peuvent, par leur exemplarité, renforcer ou affaiblir l’adhésion aux valeurs organisationnelles. Au Maroc, où les modèles de leadership évoluent lentement, la transition vers un management plus participatif, transparent et éthique est encore en cours, mais elle est indispensable pour bâtir des organisations durables.
L’enjeu de l’orientation professionnelle et de l’éducation aux valeurs
Une des raisons pour lesquelles les jeunes marocains priorisent le salaire dans leurs choix de carrière réside également dans le manque d’accompagnement à l’orientation professionnelle.
-3-Le système éducatif national reste trop axé sur les connaissances théoriques…
…et peu orienté vers le développement de la conscience professionnelle, la réflexion sur les valeurs personnelles, ou la construction d’un projet professionnel aligné avec ses aspirations profondes.
Dès lors, il est fréquent que les premiers choix professionnels soient motivés uniquement par des considérations matérielles, sans prise en compte de la culture d’entreprise, du style de management, ou de la compatibilité des missions avec ses convictions personnelles.
Ce déficit de projection à long terme peut conduire à une instabilité chronique, à une insatisfaction latente, ou à un turnover élevé.
Pour remédier à cela, il est fondamental d’introduire dans les cursus de formation dès le lycée et à l’université des modules sur les valeurs professionnelles, l’éthique du travail, la connaissance de soi, la gestion de carrière, et la culture organisationnelle.
Il s’agit d’outiller les jeunes générations pour qu’elles puissent faire des choix professionnels éclairés, durables et porteurs de sens.
-4-La responsabilité des entreprises dans la construction d’une culture de la valeur
Si les candidats doivent apprendre à dépasser la seule logique du salaire, les entreprises ont aussi un rôle central à jouer dans la promotion d’un environnement de travail porteur de valeurs.
Elles doivent être capables de formuler une vision claire, de définir des principes structurants, et de faire de l’adhésion aux valeurs un critère clé du recrutement. Trop souvent encore, la culture d’entreprise n’est ni explicite ni intégrée dans les pratiques RH, ce qui crée une opacité préjudiciable à la cohésion interne.
Dans un contexte marocain où la loyauté professionnelle est parfois perçue comme secondaire, certaines entreprises ont réussi à inverser la tendance en développant une identité forte, en créant un sentiment d’appartenance, et en favorisant un climat de confiance.
Ces organisations ont compris que l’engagement durable d’un collaborateur ne se décrète pas par le salaire, mais se construit dans la reconnaissance, la congruence des discours et des actes, et la participation active à un projet collectif porteur de sens.
L’intelligence collective, la communication interne transparente, la formation continue, et la reconnaissance non monétaire sont autant de leviers à activer pour renforcer l’adhésion aux valeurs de l’entreprise. Ces dimensions doivent faire l’objet d’une attention stratégique, notamment dans les PME marocaines qui aspirent à devenir des employeurs attractifs.
-5-Vers un nouvel équilibre entre rémunération et éthique professionnelle
Le défi consiste donc à construire un nouvel équilibre entre le besoin de sécurité financière, parfaitement légitime, et l’aspiration à un travail éthique, porteur de sens, et respectueux des valeurs individuelles.
Ce basculement ne se fera pas du jour au lendemain, mais il est amorcé par une nouvelle génération de professionnels marocains, plus sensibles aux enjeux de justice, de développement durable, de qualité de vie au travail, et de responsabilité sociale.
Les entreprises les plus innovantes ont compris cette évolution et adaptent progressivement leur stratégie RH pour y répondre.
Elles ne recrutent plus uniquement sur la base des compétences techniques, mais cherchent aussi des collaborateurs dont les valeurs personnelles sont alignées avec la culture interne.
Elles mettent en place des programmes de mentorat, de sensibilisation à l’éthique, et de dialogue social pour renforcer la cohésion et prévenir les ruptures de sens.
Du côté des candidats, on observe également une évolution progressive dans les attentes : le désir d’un équilibre vie pro/vie perso, la quête de sens, la reconnaissance, l’autonomie, et l’évolution de carrière deviennent des critères de choix de plus en plus importants, parfois même supérieurs à la seule rémunération, notamment chez les cadres et les profils à haut potentiel.
-6-: Choisir un poste, c’est aussi choisir un système de valeurs
En définitive, si le salaire demeure un critère central au Maroc dans le choix d’un poste, il ne peut être le seul fondement d’une carrière durable. L’adhésion aux valeurs professionnelles de l’entreprise est une condition indispensable pour construire un parcours professionnel cohérent, motivant et stable.
Cette prise de conscience doit être partagée tant par les candidats que par les recruteurs, afin de favoriser des recrutements durables, fondés sur une vraie compatibilité entre les individus et les organisations.
La réussite d’un projet professionnel repose sur une double exigence : répondre aux besoins matériels immédiats sans renoncer à ses principes.
Dans un monde du travail en mutation, où les repères se redéfinissent en permanence, la valeur travail ne peut se réduire à la valeur marchande.
Elle doit retrouver sa dimension humaine, éthique et existentielle.
C’est à cette condition que le travail pourra redevenir un espace d’accomplissement, et non une simple source de revenus.
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