Comprendre les incohérences salariales pour bâtir une stratégie plus juste pour les employés. Une ère nouvelle pour les entreprises marocaines : l’urgence d’une transparence salariale assumée
« Dans un contexte mondial marqué par l’aspiration croissante à l’égalité, à la justice sociale et à la reconnaissance au travail, la question de la transparence salariale s’impose désormais comme un levier stratégique majeur pour les entreprises.
Longtemps considérée comme un sujet sensible, voire tabou, notamment dans les pays du Maghreb, la transparence des salaires est aujourd’hui perçue par une nouvelle génération de salariés comme un droit fondamental et un signal de maturité organisationnelle.
Au Maroc, cette question prend une dimension toute particulière. Le pays, en pleine transformation économique, fait face à des défis de taille en matière de gestion des ressources humaines, notamment en lien avec les écarts de rémunération entre les employés pour des postes similaires, les inégalités de genre, et l’absence de dispositifs clairs de classification salariale.
Ces incohérences nuisent gravement à la motivation des collaborateurs, à la rétention des talents, et à la compétitivité globale des entreprises marocaines.
Dans ce contexte, la transparence salariale apparaît non seulement comme une exigence éthique, mais aussi comme un impératif économique. Elle offre l’opportunité de corriger des pratiques anciennes qui génèrent frustration et défiance, tout en jetant les bases d’une politique de rémunération plus juste, plus lisible, et plus alignée sur la performance.
Il s’agit d’un tournant à ne pas manquer, à condition d’en comprendre les enjeux, d’en identifier les obstacles, et de tracer les voies d’une stratégie salariale nouvelle, au service de l’équité et de la croissance. »
-1-Les incohérences salariales au Maroc : une réalité persistante aux multiples facettes
L’un des freins majeurs à la transparence salariale au Maroc réside dans la réalité même du tissu économique national, encore marqué par des pratiques très hétérogènes en matière de rémunération. Les incohérences salariales y sont nombreuses, profondes, et bien souvent invisibles.
Elles concernent tant les écarts injustifiés entre salariés occupant les mêmes fonctions que les déséquilibres systémiques entre secteurs, entreprises ou catégories sociales.
Dans certaines grandes entreprises, notamment les multinationales opérant dans les télécoms, l’ingénierie ou la finance, les salaires peuvent être relativement bien structurés, avec des grilles internes et des systèmes d’évaluation de performance.
Mais dans une majorité de PME, qui représentent l’écrasante proportion du tissu économique marocain, les rémunérations restent très largement arbitraires, négociées au cas par cas, et soumises à une logique de clientélisme ou d’ancienneté plus qu’à une évaluation objective des compétences ou de la performance.
Le marché du travail marocain est profondément segmenté.
Le secteur public, bien que souvent critiqué pour ses rigidités, offre une certaine transparence salariale à travers des échelles clairement définies par l’administration. En revanche, dans le privé, les écarts sont flagrants : un cadre dans une multinationale peut percevoir un salaire cinq à dix fois supérieur à celui d’un cadre équivalent dans une PME locale.
Ces inégalités sont aggravées par l’absence d’un cadre réglementaire exigeant la publication des salaires ou la mise à disposition d’indicateurs comparables entre entreprises.
Résultat : deux personnes à compétences égales, occupant des postes similaires dans la même ville, peuvent toucher des rémunérations radicalement différentes, sans justification structurelle.
-2-Les inégalités de genre : un déséquilibre salarial encore trop souvent passé sous silence
Au cœur des incohérences salariales se trouvent également des inégalités de genre criantes. Malgré les engagements institutionnels et les avancées législatives, l’écart salarial entre hommes et femmes au Maroc reste estimé à environ 20 % à 30 % selon les secteurs, avec des disparités encore plus marquées dans les postes à haute responsabilité. Cette réalité s’explique par plusieurs facteurs : faible représentation des femmes dans les fonctions dirigeantes, interruptions de carrière liées à la maternité, moindre accès à la formation continue, et surtout, préjugés culturels tenaces. De nombreuses salariées n’ont pas accès aux mêmes opportunités d’évolution que leurs homologues masculins, et leurs négociations salariales sont souvent moins favorables.
Le manque de transparence joue ici un rôle décisif : en l’absence d’informations accessibles sur les rémunérations par poste ou par échelon, les femmes sont pénalisées dès leur entrée dans l’entreprise. Elles ne peuvent comparer leur situation ni contester des écarts injustifiés. En ce sens, la transparence salariale ne constitue pas seulement une mesure de justice administrative : elle est aussi un levier d’émancipation et d’égalité professionnelle.
-3-Des salaires déconnectés de la performance : les dangers d’une rémunération arbitraire
L’un des problèmes les plus fréquemment soulevés dans les études menées sur les politiques RH au Maroc est le décalage entre les niveaux de rémunération et la performance réelle des salariés.
Dans de nombreuses entreprises, la progression salariale dépend davantage des relations personnelles avec la hiérarchie, de l’ancienneté ou de l’origine sociale, que des résultats obtenus ou des compétences développées. Cette logique, héritée de modèles organisationnels hiérarchiques et peu transparents, engendre une frustration généralisée et un sentiment d’injustice latent.
Ce manque de lisibilité dans les critères de rémunération empêche également les salariés de se projeter à long terme. Sans vision claire des règles du jeu, ils peinent à planifier leur carrière, à se former, ou à s’investir durablement dans l’entreprise.
De leur côté, les employeurs s’exposent à des risques de démotivation, de démissions opportunistes ou de comportements contre-productifs.
La transparence salariale, en clarifiant les attentes et les perspectives d’évolution, permettrait de redonner du sens au parcours professionnel et d’enraciner l’engagement des collaborateurs.
-4-Des conséquences néfastes pour les entreprises et la société dans son ensemble
Les incohérences salariales au Maroc ne sont pas seulement une question d’éthique ou de gestion interne.
Elles ont un impact direct sur la performance des entreprises, leur attractivité, et plus largement, sur la cohésion sociale. Lorsque les salariés perçoivent des injustices, même subtiles, dans la manière dont les salaires sont attribués, leur niveau d’engagement chute.
Ils sont moins enclins à collaborer, à innover ou à s’investir au-delà du strict nécessaire.
La rotation du personnel s’accélère, entraînant des coûts élevés de recrutement et de formation. Les jeunes talents, souvent mieux informés et plus mobiles, n’hésitent plus à quitter les entreprises jugées opaques ou inéquitables pour se tourner vers des structures internationales ou vers l’étranger.
Les entreprises elles-mêmes voient leur réputation mise à mal. Avec l’émergence de plateformes de notation d’employeurs, les écarts salariaux injustifiés peuvent rapidement devenir publics, ternissant l’image de marque employeur. Dans certains cas, les conflits internes sur la rémunération peuvent déboucher sur des mouvements sociaux, des grèves ou des actions en justice.
À l’échelle nationale, ces incohérences alimentent le sentiment d’injustice et contribuent à la défiance généralisée envers le monde de l’entreprise.
-5-Transparence salariale : une démarche stratégique pour restaurer la confiance et renforcer la performance
Face à ce constat, la transparence salariale s’impose comme une réponse structurante.
Elle consiste à rendre visibles les niveaux de rémunération pratiqués au sein de l’entreprise, à expliciter les critères d’attribution des salaires, et à garantir un accès équitable à l’information pour tous les collaborateurs. Cette transparence peut être progressive, allant d’une communication interne partielle (publication des grilles salariales par métier) à une transparence totale (publication des salaires nominaux), selon le niveau de maturité et la culture de l’organisation.
Les bénéfices d’une telle approche sont multiples.
Elle permet d’identifier les écarts injustifiés et d’y remédier de manière proactive.
Elle offre un cadre de référence aux managers dans leurs décisions d’augmentation ou de promotion.
Elle renforce la confiance entre les collaborateurs et la direction, en posant les bases d’une relation fondée sur la reconnaissance et la méritocratie. Elle contribue aussi à attirer de nouveaux talents, soucieux de rejoindre des environnements professionnels respectueux et équitables.
-6-Construire une stratégie salariale juste : les étapes clés pour les entreprises marocaines
Pour aller vers une transparence salariale effective, les entreprises marocaines doivent adopter une démarche méthodique et progressive. La première étape consiste à réaliser un audit interne des politiques de rémunération en vigueur.
Cet audit doit permettre d’identifier les écarts de salaires selon les postes, le genre, l’ancienneté et la performance. Il s’agit aussi de cartographier les pratiques actuelles, formelles et informelles, afin de mieux comprendre les mécanismes à l’œuvre.
La deuxième étape est la mise en place de grilles salariales claires et évolutives.
Ces grilles doivent être construites sur la base d’une classification rigoureuse des postes, intégrant des critères objectifs (niveau de responsabilité, compétences requises, impact sur la valeur ajoutée de l’entreprise).
Elles doivent aussi être régulièrement mises à jour en fonction de l’évolution du marché et des performances internes.
La troisième étape repose sur la formation et la sensibilisation des managers, qui jouent un rôle central dans la mise en œuvre de la politique salariale.
Il s’agit de les accompagner pour qu’ils comprennent les enjeux de la transparence, maîtrisent les outils de gestion salariale, et adoptent des pratiques équitables dans l’évaluation et la reconnaissance de leurs équipes.
Enfin, il est essentiel d’associer les salariés à cette transformation, en instaurant un dialogue social ouvert et constructif. Cela passe par la création de commissions internes, la consultation des représentants du personnel, ou encore l’organisation de séances d’information régulières sur la politique de rémunération.
Plus cette politique sera partagée et comprise, plus elle sera acceptée et mobilisatrice.
-7-Conclusion : vers une nouvelle culture salariale au Maroc
La transparence salariale ne relève plus d’une option symbolique ou d’un simple effet de mode.
Elle constitue aujourd’hui une exigence profonde, portée à la fois par les aspirations des salariés, les mutations du marché du travail, et les impératifs de performance des entreprises.
Au Maroc, elle représente une véritable révolution culturelle, qui oblige à remettre en question des habitudes anciennes, à affronter des résistances, mais aussi à ouvrir la voie à un nouveau contrat social dans l’entreprise.
En s’engageant sur la voie de la transparence, les entreprises marocaines peuvent bâtir une stratégie salariale plus juste, plus cohérente et plus attractive.
Elles y gagneront en crédibilité, en engagement des collaborateurs, en efficacité managériale et en compétitivité.
Au-delà des chiffres et des tableaux Excel, il s’agit de faire du salaire un outil de reconnaissance, de justice et de progrès partagé.
Dans une société marocaine en quête d’équilibre et de sens, cette ambition n’a jamais été aussi urgente ni aussi prometteuse.
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